Pour démarrer cette série d’articles, j’ai choisi de me pencher sur la vie hors du commun de Mère Térésa. Derrière le mythe, se trouve une femme à découvrir.
Qui est Mère Térésa ?
Agnès Bojaxhiu est née en Albanie en 1910. A 18 ans, elle choisit de rejoindre un couvent qui l’amène à diriger une école aisée en Inde et à enseigner l’histoire et la géographie. Appelée par Dieu, sa vocation d’aider et vivre avec les pauvres la rattrape. Elle s’installe seule dans les bidonvilles de Calcutta où elle souhaite donner de l’amour et une mort digne aux pauvres. Des sœurs la rejoignent. La congrégation des Missionnaires de la Charité est reconnue par l’Eglise. Une branche masculine est créée et est gérée par un frêre. Peu à peu, Mère Térésa ouvre des centres d’adoption pour les bébés abandonnés puis pour soigner les lépreux. Sa communauté s’étend partout dans le monde. En 1979, Mère Térésa recevra le prix Nobel de la Paix. Elle est décédée en 1997.
Que peut-on apprendre de son expérience ?
L’efficacité n’est pas un objectif en soi,
Lorsqu’elle commence à aider seule les pauvres en Inde, elle découvre que les hôpitaux refusent les mourants car ils considèrent qu’ils utiliseraient des moyens et des ressources pour une personne qui ne pourrait ni payer ni survivre. Cela leur semble vain. Ils sont dans une logique d’efficacité.
Cela choque Mère Térésa. Envahie d’une immense colère, elle se demande « Comment peut-on laisser mourir ainsi un homme dans la rue ? »
Elle démarche alors la mairie de Calcutta pour la mobiliser mais la misère est trop importante et nécessite des moyens qu’elle n’a pas. Mère Térésa obtient un local et décide de se charger de tout le reste. Les sœurs de sa congrégation ramènent elles-mêmes les mourants. Elles les installent sur une paillasse, les nettoient, les soignent.
Chacun a le droit à l’amour et la dignité.
C’est aussi la raison pour laquelle elle ouvre un centre d’adoption où elle prend tous les bébés abandonnés qu’on lui amène.
Mère Térésa garde la crainte que son action soit dirigée par cette logique qui sacrifie les plus pauvres. C’est la raison pour laquelle elle refuse l’argent d’institutions publiques.
Aider, c’est du concret
Mère Térésa a une mission : aider les pauvres. La vie l’amène néanmoins à diriger et enseigner dans une école huppée indienne. Mais sa vocation la rattrape et elle prend conscience que ce n’est pas comme cela qu’elle aidera les plus démunis. L’envie ne suffit pas, il faut la concrétiser en actes.
Dans cet objectif, elle va directement vivre avec eux dans les bidonvilles. Elle sait qu’elle ne peut être d’aucun secours aux pauvres sans une formation d’infirmière. Elle commence par apprendre.
Elle mendie de l’argent, demande de l’aide à des pharmacies, des médecins. Elle soigne des malades, elle transporte des mourants jusqu’à la Congrégation, etc. Elle met la main à la pâte CONCRETEMENT.
Sortir de sa zone de confort pour avancer
Mère Térésa a pris des risques et fait preuve d’audace pour aider les plus démunis.
En 1928, à 18 ans, elle quitte son pays, l’Albanie, pour rejoindre une congrégation de sœurs en Inde. Elle fait 3 vœux qu’elle respecte, même si cela n’est pas toujours simple : pauvreté, chasteté et obéissance.
Pendant 20 ans, elle enseigne l’histoire et la géographie. Elle a alors une vie confortable et ne s’occupe que d’enfants de familles aisées. Pourtant, elle quitte cette situation facile pour réaliser sa mission. En 1948, elle quitte l’habit occidental, enfile un simple sari indien qui l’associe désormais au peuple indien et va seule dans les bidonvilles de Calcutta.
La congrégation s’occupe des mourants. Cela pourrait suffire à Mère Térésa, être dans une routine. Mais elle prend conscience de la problématique des bébés laissés seuls dans la rue. Elle étend alors immédiatement le champ d’action de la congrégation en ouvrant un centre d’adoption.
Un jour des lépreux viennent la voir. A cause de leur maladie, ils sont rejetés de tous. Ils ont perdu leur emploi, leur famille et sont affamés. Couverts d’opprobre, ils font peur et personne ne veut les soutenir. Mère Térésa se décide alors à leur apporter des soins qui ne sont accessibles qu’aux riches.
Après plus de 18 ans à Calcutta, elle se lance dans un nouveau challenge : étendre l’action de la Congrégation au-delà de Calcutta, en Inde puis partout dans le monde.
Aimer, n’est pas synonyme d’affectivité
Une anecdote m’a marquée en me renseignant sur sa vie. Des femmes à la vie dorée ont souhaité l’aider. Elles ont proposé à Mère Térésa de fabriquer des jouets pour les enfants. Cette dernière leur a répondu avec une franchise directe « Ils n’ont pas besoin de jouets mais de nourriture et de vêtements ». Ces femmes se sont alors procuré des vêtements.
Les frères de la branche masculine des missionnaires de la Charité ont une vie moins stricte que celle des sœurs. Ils font un travail admirable avec émotions mais ont des manquements à leurs vœux, notamment de chasteté. Mère Térésa est convaincue que cette sensibilité exacerbée au contact de la souffrance risque de perturber les sœurs. Elle maintient une certaine discipline. Elle amène les sœurs à changer de lieu d’activité régulièrement. Elle les protège en ne leur donnant pas le temps de s’attacher aux autres sœurs et à ceux dont elles s’occupent.
Pour beaucoup, elle représente la mère nourricière consolante, puits de tendresse et d’affection. Or, elle est forte, elle contrôle parfaitement ses sentiments. Cela n’est pas incompatible avec l’amour. Elle aime au sens où elle se soucie de la vie d’autrui, elle offre aux mourants une mort digne. Un mourant : « Toute ma vie j’ai vécu comme une bête. Maintenant je meurs comme un être humain. »
« L’extrême pauvreté vide progressivement l’homme de son humanité ».
La joie est une boussole
Enfant, elle entend un missionnaire dire « Chaque personne a sa voie particulière et doit la suivre. » Mais comment savoir laquelle ?
Durant son questionnement sur sa vocation, elle demande conseil à son directeur spirituel « Comment puis-je savoir si Dieu m’appelle ? » . Sa réponse me parait pertinente et éclairante : « Par ta joie [..] La joie profonde est comme une boussole qui indique la direction de la vie »
Il est bon de persévérer, parfois en patientant
A 12 ans, elle « désire pour la 1ère fois appartenir totalement à Dieu ». Elle prie pendant 6 ans. Elle murit sa décision, avant de se décider à 18 ans.
Quand elle décide de quitter l’école où elle enseigne pour vivre avec les plus démunis, elle en parle et en fait la demande. L’archevêque refuse. Peu de temps après, elle tombe malade.. une maladie diplomatique qui arrange tout le monde en cas de conflit. Elle se repose dans un hôpital de campagne et mûrit son projet. Au même moment, le peuple indien aspire à l’indépendance, le pays est en pleine confusion. La situation se dégrade et Mère Térésa, éloignée depuis un an, est rappelée. Elle renouvelle sa demande qui continue de susciter des réticences mais qui arrive tout de même jusqu’à Pie XII. Il l’autorise à quitter son ordre religieux pendant un an pour cette vocation extrême et hors norme. C’est une révolution. Mère Térésa aura attendu deux ans.
Les doutes, les difficultés et les échecs font partie de tous les projets
Mère Térésa les a connus, comme tout le monde. Voici quelques-uns d’entre eux :
- Son père décède alors qu’elle est toute jeune. Elle a 9 ans. Au-delà du deuil, sa famille se retrouve aussi dans une vie simple, sans superflu.
- Comme évoqué, elle attendra deux ans avant de pouvoir suivre sa voie de vivre avec les plus pauvres. Deux ans de persévérance et de patience.
- Néanmoins, au démarrage, se trouve une première difficulté : trouver un lieu d’habitation au sein du bidonville. En effet, n’en ayant pas trouvé, elle vit chez les Petites sœurs des pauvres. Elle connait alors des moments de découragements et doutes. Elle prie mais reste convaincue qu’elle ne veut pas retourner en arrière. Lassée de chercher en vain, elle demande de l’aide à son directeur spirituel qui lui trouve une habitation.
- Des sœurs la rejoignent et la question de la création de sa propre congrégation se pose. Le prêtre lui demande d’écrire une règle de vie et des constitutions pour que sa communauté soit reconnue officiellement par l’Eglise. Ce sera « Les missionnaires de la Charité » ayant pour mission de répandre l’amour de Dieu parmi les hommes. Cependant les règles qu’elle choisit ne sont pas acceptées. Elle doit faire des compromis.
- Tout le monde ne voit pas d’un bon œil ce travail des missionnaires, allant même jusqu’à la violence. Les locaux sont attaqués par des jets de pierres. Mère Térésa sort et s’écrie « Tuez moi, si vous le voulez. Mais ne touchez pas à ceux qui sont à l’intérieur. Laissez-les mourir en paix. ». Comme elle ne fait pas de prosélytisme, les tensions se calment.
- Quand elle inaugure un premier centre de soins pour les lépreux, le voisinage est hostile. Trois religieuses décident de s’installer avec les lépreux mais elles sont dans une zone de fortes violences. Mère Térésa prend conscience de la nécessite d’une branche masculine des missionnaires de la Charité.
- Mère Térésa essaie de se rapprocher du Docteur Roy, ancien compagnon de Gandhi, ancien membre du Congrès. Après l’indépendance, il devient Premier ministre du Bengale tout en continuant de pratiquer la médecine. Mais il la renvoie à l’administration. C’est un échec. Elle persévère et va le retrouver lors de ses consultations. Cela les amène à devenir ami et c’est lui qui la rendra célèbre en parlant d’elle aux journalistes.
- Elle n’accorde aucune importance à sa réputation et parle spontanément sans porter attention aux conséquences de ses propos. Cela l’amène à être l’objet de polémiques.
- Elle a aussi vécu un drame personnel. Elle n’a pas pu recevoir l’accord du gouvernement albanais au marxisme absolu pour revoir sa mère et sa sœur.
- Mère Térésa avoue qu’elle se sent parfois « comme une coquille vide, sans rien en [elle] qui [la] soutienne, solitaire, malheureuse. »
- En 1989 et 1991, elle est victime d’accidents cardiaques.
Pas si facile, même pour elle.
Ne pas blesser ni exclure
Pour Mère Térésa, il est primordial d’inclure, que ce soient les malades, les pauvres ou les personnes aisées.
Une société perd son âme si elle sacrifie ses membres les plus fragiles. Ainsi, les sœurs se penchent sur les lépreux et leur disent qu’ils sont dignes d’être aimés et que Dieu les aime.
Elle crée aussi une équipe de « coopérateurs souffrants », des personnes qui ont la volonté de participer à l’œuvre de Mère Térésa sans en avoir les capacités physiques. Elle les enjoint à prier, à créer un réseau de solidarité pour s’unir spirituellement à chacune des missionnaires de la Charité. Elles sont inclues.
Une autre équipe comprend des femmes à la vie dorée qui souhaitent aider : les « coopérateurs actifs » qui cherchent des vêtements pour les plus pauvres.
Le bonheur et l’amour sont des sujets universels, dans les « pays pauvres » comme dans les « pays riches »
Quand elle s’installe dans les bidonvilles, elle s’imprègne de Calcutta, de sa misère mais aussi de la gaieté qu’elle rencontre. Les habitants de la ville semblent si habitués à leur sort qu’un petit rien devient la source d’un grand bonheur.
Quand Mère Térésa commence à témoigner en Grande Bretagne. Elle demande aux anglais de consacrer leur attention et efforts à leur entourage, à leur famille, à leur quartier. Il ne sert à rien d’aider un lépreux en Inde si on ne peut tendre les bras à ceux qui souffrent matériellement, moralement, affectivement, autour de soi.
En 1968, le Pape Paul VI lui demande de venir fonder une communauté à Rome. Doutant de la pauvreté en Occident, elle vient sur le terrain et constate que l’Occident a aussi ses laissés pour compte. « La faim n’est pas seulement de pain. Elle est d’amour. J’ai rencontré dans les pays riches une faim d’amour effrayante. Partout je me heurte au drame de la solitude, à la sensation terrible de ne pas être aimé, à l’indifférence générale. C’est une maladie terrible, plus grave que la tuberculose ou la lèpre. »
Conclusion
Je suis persuadée que l’« On a toujours quelque chose à apprendre de quelqu’un ». Chacun.e avec son caractère, ses goûts, ses forces, sa vie, peut nous éclairer, nous faire réfléchir.
Une jeune fille albanaise sans le sou a transformé des millions de vie, tout en traversant des difficultés, des doutes, des échecs.
Son altruisme et son titre de « mère » ont construit ce mythe d’une maman nourricière, douce… Il s’avère que c’est une vision simpliste. Mère Térésa est une femme forte qui contrôle ses sentiments et qui a, elle aussi, connu des difficultés et des échecs.
Humanité, intégrité, congruence entre ses valeurs, ses actes et ses paroles, persévérance, voilà les éléments de la vie de Mère Térésa qui m’inspirent. Et vous ?
Je vous recommande l’excellent livre « Mère Térésa » de Frédéric Lenoir et Estelle Saint-Martin, qui est le fruit de trois ans de recherche.